ALC. - Arts littéraires cheminot- A.L.C.

Mille mètres carrés

Un très bel et très illustratif exemple de ce qu'un écrivain de talent peut faire sans avoir recours au sensationnel ou à l'imagination pure.

      C'est mon jardin, confortablement ceinturé d'une haie de thuyas habitée par les oiseaux, au chaud, à l'abri. Tout au fond, l'unique lapin, vieux, familier, aux yeux globuleux légèrement larmoyants, regarde, étonné, à travers la fenêtre grillagée de sa maison de bois, tous ces ors. Juste devant lui, le potager étale ses derniers légumes comme sur un marché. Deux érables, un doré et un pourpre, envoient leur feuillage au soleil pour un ultime salut. A leurs pieds, une rangée de groseilliers nus s'étirent paresseusement. Les arbres fruitiers ont perdu la moitié de leurs feuilles, elle tourbillonnent, mordorées sur le vert de la prairie. Le vent s'en saisit pour jouer. Les bruns, les roux, les jaunes s'entremèlent dans une sarabande effrénée. On devine le petit appentis et son carreau juponné d'un rideau blanc, blotti entre deux branches dévêtues.

 Sous deux pruniers riches de leurs couleurs, le banc de l'été se repose. Dans les parterres, les dernières roses essayent vaillamment de mourir, les soucis se sont rassemblés pour un conciliabule final, les hortensias, gênés de leur tenue fripée,  se sont recroquevillés sur eux-mêmes, les rhododendrons et les lauriers, fiers de leur résistante parure, toisent le jardin tout entier ignorant les berbéris qui pleurent des larmes de sang. La table et les sièges de pierre attendent on ne sait quoi, peut- être une escale du chat qui se promène dans son domaine superbement dédaigneux de cette beauté d'automne. Demain ce sera l'apocalypse, mais, au loin, se profile déjà un nouveau printemps.

Texte : ©Yvette Mathieux

    . Crédits : Cloé,Sanne,LYsa