Escargot Balade

 

Ce jour-là, j'avais décidé de sortir de ma coquille.

Il faisait un temps superbe car il pleuvait superbement ! Une pluie fine et tiède embuait jusqu'au soleil absent. Prudemment, lentement, j'avais envoyé mes antennes en éclaireurs, les poussant dehors. Elles s'étaient étirées de plaisir, curieuses et gluantes à souhait. Je me sentais royalement bien, j'avais bien dormi comme un drapeau replié dans son tiroir. J'étais comblé, ma maison avait une maison, je logeais dans une cavité sous le banc du jardin. J'avais marqué mon territoire d'une bave argentée, chaque soir, j'appliquais soigneusement ma ventouse sur le vieux bois comme on oblitère un timbre de valeur.

Or donc, ce jour-là, méticuleusement, j'entrepris le tour du propriétaire. Ce qui m'étonna le plus fut l'étendue du jardin. A raz du sol, il me parut immense. Une haie de thuyas touffue, d'un vert sombre et luisant lui servait d'écharpe, par vagues successives, s'en échappait un concert de piaillements. Il y avait du monde dans la clôture.

Je me traînais dans l'herbe humide avec délice. La première rencontre que je fis me laissa pantois. Je me trouvais soudain antennes à nez avec un vieux lapin qui m'observait de sa cage grillagée. Ses yeux globuleux, son museau en mouvement dans un paquet de fourrure blanche posé comme un colis d'ouate oublié me renvoya, par antennes interposées, méfiant, au fond de ma maison. Comme il ne se passait rien, j'en ressortis. C'est alors que je découvris le petit potager aplati derrière une rangée de groseilliers auxquels pendouillaient mille grappes rouges et noires, une fringale effrénée me prit et je décidai de déjeuner.

Les laitues rondes, pareilles à des ventres rebondis, les carottes empanachées de vert, les poireaux en sentinelles, les oignons en rangs serrés me faisaient penser à une vaste casserole de potage où ne manquait que la louche. Rassasié, gras, salivant, empêtré dans un parterre de fleurs, j'expérimentai avec philosophie qu'il n'y avait pas de roses sans épines. Divinement belles, envoûtantes de parfum, colorées, emperlées de gouttes d'eau, elles me toisaient avec arrogance. Plus, loin, un massif de soucis jaunes et orangés, petits soleils miniaturisés, se serraient solidairement les uns contre les autres comme autant de défis au ciel plombé, alors que les lupins, lourds, lamentables, s'avouant vaincus, s'étaient couchés en une pitoyable révérence, les berbéris fragiles perdaient quelques feuilles pourpres pareilles à des larmes de sang. Soudain mélancolique, je me dirigeai vers le coin verger.

Pour y parvenir, je devais contourner une table ronde et son banc de pierre du haut duquel deux yeux inquiétants me fixaient intensément ; Monsieur Chat, trempé, hérissé, dédaigneux, les oreilles à l'horizontale, me cracha aux antennes. Prudent, je me réfugiai à nouveau au fond de ma coquille. Lorsque j'en émergeai, probablement écoeuré par ma lâcheté, le chat était parti. Les arbres du verger se dressaient droits, solides, portant fièrement leurs fruits comme des trophées. Les pommes tentantes se racontaient Eve, les cerises nostalgiques évoquaient des peines d'amour, les poires dorées se gardaient pour une soif, les prunes écervelées se comptaient pour rien.

Ivre de ma balade, je courus juqu'au creux du vieux banc de bois, et voluptueusement, je me lovai dans ma coquille en rêvant de poèmes.

Texte :© Yvette Mathieux