Dans sa petite maison blanche
aux murs épais et rassurants, aux ouvertures rares et
minuscules, abritée des rayons indiscrets d'un soleil
sans pitié qui regardait de son oeil jaune un paysage
doré planté d'oliviers, la jeune juive façonnait sa
poterie, cuisait le pain, enliait le vin, tissait ses
voiles en repoussant d'un geste de reine sa magnifique
chevelure qui lui assaillait les épaules et les reins.
En ce temps-là, elle rêvait
d'amour, il vint avec le printemps. Un brave garçon,
solide, sûr, barbu, charpentier de son état, l'emmena
chez lui et fit basculer le coeur de la petite juive
dans la béatitude.
Pleine de grâces, elle assistait
son mari et élevait son fils. Ses yeux où se baignait
toujours la même étoile, comme alanguie de mystère,
posaient sur un monde irréel, accessible à elle seule,
un regard d'espérance. La beauté, la poésie étaient ses
armes, l'amour était sa force. Sa vie s'écoula comme
toutes les vies.
Devenue vieille, la petite
juive toujours enfouie dans ses voiles, seulette sous
les oliviers, errait jusqu'à l'épuisement. Elle avait
perdu l'étoile de ses yeux. Souvent, elle allait au
Mont, et là , assise à l'ombre d'un ilot d'arbres qui
formaient une croix, elle s'endormait, espérant revivre
le rêve qui la hantait.
Elle se voyait alors dans une
maison cossue de patricienne, son enfant enveloppé de
langes de soie dans les bras. Elle le déposait dans un
berceau cotonneux sur des toiles fines aux précieuses
dentelles, personne ne venait troubler son sommeil.
Seuls son mari et elle penchés jalousement sur l'enfant,
incrédules devant tant de bonheur, enfermaient toutes
ces choses dans leur coeur. Elle se souvenait des
premiers sourires, des premiers pas, du premier cadeau :
ce petit âne gris compagnon de jeux de son fils, elle
entendait ses rires, son laborieux langage de tout
petit. Une paix sublime se répandait sur le visage de la
juive comme celle qui éclaire le visage des morts tandis
que son rêve se prolongeait... ce fils, ce bel
adolescent doux et fort qui grandissait en âge et en
sagesse, qui devenait cet homme si beau, que les rois
enviaient, que les pauves adoraient, que les amis
suivaient et qui n'avait pas d'ennemis. Il parlait comme
" le livre ", il souriait comme un Dieu, il se révoltait
contre l'injustice et toujours, il pardonnait.
A ce souvenir, transpercée
par un glaive, la petite juive reprenait conscience de
la terrible réalité. Elle se serrait dans ses voiles,
baissait ses beaux yeux éteints, ravalait ses sanglots
et s'en retournait voûtée sous le poids de sa douleur.
Marie, le petite juive avait tout perdu mais le monde
avait tout gagné : elle lui avait donné son fils.
©YMathieux |