Il rentrait de sa tournée. Il donna une solide tape dans le dos des chargeurs, fit un salut chevaleresque à monsieur Noël et décocha un clin d'oeil assassin à l'écureuse.

      En classant des feuilles et des feuilles, il raconta les potins du terroir. Henri notait de mémoire les numéros des colis en les hurlant comme on l'aurait fait face à un enregistreur récalcitrant. Le téléphone retentit une fois de plus, Henri décrocha, annonça le bureau des marchandises de sa voix de velours. S'en suivit alors une conversation extravagante. Il était question de moutons et de chevaux. Nous entendions une voix masculine surexcitée crier "oui monsieur, à cinq cents mètres au-delà du pont".

     Henri se rua sur l'appareil relié au quartier général, nous devinions l'urgence. Il prévenait le chef qu'un aimable client faisait part de la curiosité de quelques moutons et de deux chevaux qui avaient choisi la liberté et se promenaient sur les voies.   

     Les bêtes, faisant fi de tous les interdits avaient voulu voir de près passer les trains. Une alerte générale fut aussitôt déclenchée et le service de la voie partit pour un safari !

     La vie s'étirait à la petite gare. Les joies, les démélés, les satisfactions se succèdaient. Les années passaient... Soudain, l'avenir se trouva être le présent.

Un jour, Bernard réussit ses examens de commis, on le fêta puis il annonça son mariage avec la petite Brigitte dont le machiniste de père avait perdu du panache depuis sa mise à la retraite. Quand à Mathias, il avait suivi les rails un beau dimanche juqu'à la maisonnette jaune, dès lors à la petite gare, la dernière écureuse avait rendu son tablier.

Texte : ©Yvette Mathieux

 

° Crédits : Cloé,Sanne,LYsa