Le local du lampiste où je rangeais mon matériel de travail était un inextricable capharnaüm, c'était le domaine sacro-saint de Jules, sympathique homme à tout faire de la gare. La lampisterie, pièce minuscule éclairée par une fenêtre étroite et haut perchée, semblait voguer en plein ciel. Sur une étagère de fortune, la patte de Jules avait posé maladroitement un vague bouquet de fleurs artificielles aux couleurs passées dont les tiges effilochées trempaient dans un bocal à confiture. De chaque côté, trônaient deux anciennes potiches en faïence bleue et verte d'un goût douteux représentant des oiseaux d'une race indéterminée. Une fille aux rondeurs généreuses souriait malicieusement sur un joli calendrier tenu à jour. Un miroir au tain piqué accroché au mur par un ruban rose reflétait un écriteau sur lequel une main appliquée avait calligraphié "on est prié de respecter l'ordre du local", le décor laissait rêveur ! |
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Un miroir au tain piqué accroché au mur par un ruban rose reflétait un écriteau sur lequel une main appliquée avait calligraphié "on est prié de respecter l'ordre du local", le décor laissait rêveur ! Je remisai soigneusement mes brosses, fermai la porte et je sortis sur le quai. Dieu ! qu'il faisait beau. Ce printemps tout de même ! Je me sentais légère, point vieille du tout. J'allais rentrer chez moi, dans mon quartier de cheminots, dans ma maisonnette, c'était merveilleux. Je saluai poliment l'aîné des sous-chefs qui déambulait une lourde farde sous le bras. Il me semble bien que lui non plus, en me voyant, ne se sentait pas vieux ! Coquin de printemps ! Le chemin à parcourir jusqu'à la maison était agréable. Il longeait forcément les voies en traversant un îlot nouvellement construit. De jolies villas y avaient poussé comme des girolles, ce n'était plus la ville, mais la campagne en verdure et fleurs. La maisonnette m'attendrissait à chacun de mes retours. Un peu à l'écart, entourée d'une clôture blanche, les fenêtres garnies de reps vert, la porte de bois verni, les murs jaune pâle, le toit bas et plat, elle sortait de la banalité. Mon petit élevage en "veille" m'attendait sagement tandis que mon chien me fêtait avec une fougue tapageuse. J'étais heureuse, je vivais à l'aise au milieu d'un décor que j'adorais, parmi des gens que j'aimais. Que la vie était donc belle ! Le lendemain à huit heures, j'étais au travail, reposée, fringante. La journée s'ensoleillait, la gare bourdonnait, le personnel s'affairait, je passai inaperçue. Ma besogne bien organisée me conduisait ce jour là dans la salle d'attente et dans les toilettes. Je commençai par ces dernières. J'y avais invariablement des haut-le-coeur ! Il y avait eu, à ma grande honte, des témoins. Il arrivait parfois que le bon Jules ait trouvé le temps de me précéder afin de m'éviter les contractions épouvantables de l'estomac de toute évidence récalcitrant à ce genre de récurage et ce, juqu'à la fin de ma carrière d'écureuse. Bref ! Je dus subir... Cela terminé, j'entrai discrètement dans la salle d'attente. Personne aussi bien que moi ne se rendait compte de ses vastes dimensions. Elle était claire : quatre fenêtres regardaient le quai, quatre autres fixaient la place, deux portes vitrées s'ouvraient l'une en face de l'autre, distancées par la largeur de la pièce, occasionnant un insupportable courant d'air les jours de grand vent. On voyait alors les affiches publicitaires frémir dans leur cadre, les plantes vertes sur le muret séparant la buvette de la salle d'attente balancer avec délice leurs larges feuilles huileuses. Les grandes dalles blanches, les longs bancs laqués avaient la classe et la sobriété des bureaux d'huissiers. Heureusement, les affiches invitant aux voyages, exaltant la facilité des marchandises livrées à domicile, leurrant les étudiants concernant des écoles idylliques corrigeaient la sévérité apparente. Petit à petit, une douce chaleur de chez soi vous gagnait. On découvrait la mignonne aubette blottie à gauche, l'accueillant comptoir du buffet à droite. Les journaux et les livres rangés méticuleusement, mis en valeur par une savante présentation, étaient distribués par un modèle réduit de charmante bonne femme à la tenue fraîche et pimpante, tout en sourire, on eut dit une dragée dans une trop grande boîte ! Le buffet était géré par un ménage très vieille France : lui au langage choisi, à la prestance d'académicien, elle raffinée, distinguée, racée. Comptoir et aubette d'excellente renommée attiraient une clientèle de qualité. Après les politesses d'usage où entrait une part importante d'amitié et de sympathie mutuelle, je me mis à astiquer consciencieusement. Les heures de nettoyage s'accordaient avec les temps creux, à peine avais-je terminé que les voyageurs ou les clients arrivaient. La psycholoqie du cheminot en contact avec le public est innée. Qu'il soit supérieur ou subalterne, il a l'art de cet art ! La façon dont s'y prend un vrai cheminot pour manoeuvrer un client afin de l'amener à penser ce qu'il voudrait qu'il pense est prodigieuse ! Mais où l'art atteint son point culminant, c'est lorsque le dit client en rage, arrive au guichet pour introduire un réclamation et le quitte en présentant des excuses alors que la situation est exactement semblable. L'adresse, le sang froid, la patience, la conviction, le charme ont ensorcelé le plaignant avec un brio magistral. |
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texte ©Yvette Mathieux |
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